Polybius. Marie-Rose Guelfucci, « Polybe, le regard politique, la structure des Histoires et la construction du sens », Cahiers des études anciennes [En ligne], XLVII | 2010, mis en ligne le 13 mars 2010, consulté le 24 octobre 2020. 34 Voir en particulier E. Foulon, op. Mais Polybe ne se départit pourtant jamais vraiment d’un regard étranger — que l’on pense, par exemple, aux lignes sur les œuvres d’art arrachées à leur pays d’origine (IX, 10, 7-10), à ses remarques sur le double langage des sénateurs, selon qu’ils réagissent en personnes privées ou en membres d’un corps institutionnel d’abord soucieux des intérêts romains (XXXI, 2, 5-8), aux commentaires que suscite la politique extérieure de Rome (XXXVI, 9) ou, plus anecdotiquement, à sa propre satire des travers de la société romaine qu’il découvre (XXX, 22). Noté /5. J.-C.), général, homme d'État, historien et théoricien politique, est sans doute le plus grand historien grec de son temps. 8À travers le récit historique, ses exemples commentés ou les synthèses qui les reprennent, l’auditeur ou le lecteur, futur responsable politique potentiel, doit donc recevoir une formation complète et exigeante. Nous reprenons ici, pour l’appliquer au narrateur, la définition du « lecteur intime » qui avait permis l’étude du lecteur que Polybe définit et inscrit dans son texte (M.-R. Guelfucci, « Des mots et des manières de lire : le lecteur de Polybe », in Ch. « Aussi doit-on attacher moins d’importance quand on lit ou que l’on écrit l’histoire, au récit des faits qu’à ce qui s’est passé auparavant, en même temps et après ; car si l’on supprime la recherche des causes, des moyens, des intentions et des conséquences, heureuses ou malheureuses, de chaque événement, l’histoire n’est plus qu’un jeu d’esprit ; elle ne sert plus à l’instruction du lecteur ; elle distrait pour le moment mais on n’en tire absolument aucun profit pour l’avenir. 4L’originalité de la définition de Polybe est donc ailleurs, et d’abord dans la distinction apparemment paradoxale qu’il marque entre deux activités données comme nécessairement complémentaires pour l’écriture de l’histoire, mais qui semblent, en raison même de l’engagement qu’elles exigent toutes deux, ne pouvoir être concomitantes : aussi le futur historien doit-il s’astreindre à une propédeutique politique, ou l’ancien homme politique consacrer sa vie à l’écriture de l’histoire « sans se disperser de tous côtés », et le terme employé, rare et imagé, est lui-même très significatif, a contrario, des multiples charges qu’impose une vie politique active — ἀπερισπάστως10 (XII, 28, 4). Une erreur est survenue. Le narrateur homme d’action. Cf. À la place, notre système tient compte de facteurs tels que l'ancienneté d'un commentaire et si le commentateur a acheté l'article sur Amazon. Polybius' Histories is one of classical antiquity's great political narratives. McGing provides an admirably succinct overview of the issues (. Nous reviendrons précisément sur la fonction de ces digressions, mais dans l’ensemble de l’œuvre, deux séries de critères, constitutifs du choix et de la présentation des événements ou des moments historiques que fait Polybe pour son lecteur, semblent déterminants pour la qualité d’un gouvernement : une compensation des pouvoirs qui, assurant la meilleure cohésion de la cité en cas de danger (VI, 18, 1-4), empêche toute dérive vers une forme viciée et tyrannique de l’autorité, en politique intérieure (VI, 18, 7-8) comme en politique extérieure — avec, dès le livre I, l’exemple de Hiéron, allié de Rome qui, avec un vrai sens politique (πάνυ φρονίμως καὶ νουνεχῶς), maintient une balance des pouvoirs en aidant Carthage dans la guerre des mercenaires (I, 83, 2-3) —, et, en cas d’hégémonie (absolue), l’attention prêtée au discours des États soumis ou moins puissants (XXIV, 13, 1-4) ; la préservation, d’autre part, des qualités civiques fondamentales que sont, dans la vie quotidienne des citoyens, des gouvernants comme de l’État en général, la modération (jusque dans la tempérance) et le courage25 et, pour les dirigeants et la politique de l’État cette fois, la μεγαλοψυχία, le désintéressement et la clémence. 14À cet égard, la structure d’ensemble de l’œuvre, malgré son caractère fragmentaire pour nous, malgré aussi les ajustements qu’a pu apporter Polybe lui-même à une œuvre écrite sur une si longue durée29, révèle encore parfaitement la minutieuse organisation d’ensemble qui fait précisément de l’étude de l’hégémonie romaine un objet de réflexion scientifique exemplaire, étudié dans sa globalité sur une durée donnée. 18Si, après ces préalables indispensables, nous reprenons plus en détail l’examen de la structure générale (état de la question, étude, conséquences et examen de leur validité), nous remarquons qu’elle est immédiatement précisée par une autre, en lien avec le choix des deux synchronismes fortement marqués de l’œuvre et déjà, pour le second, très bien étudié : l’olympiade qui conclut le livre II (224-220), avec l’accession au pouvoir de tous les responsables politiques qui seront autant de rivaux potentiels pour Rome : Hannibal (II, 36, 3), Philippe V, jeune prince de dix-sept ans en 221, Antiochos III et Ptolémée IV (II, 71, 1-6), la même année 221 voyant se nouer des conflits localisés et indépendants en apparence — guerre des Alliés en Grèce sous la conduite de Philippe, guerre d’Hannibal contre Rome, guerre pour la Coïlè-Syrie en Asie (II, 71, 9) —, alors qu’en 217, au moment du congrès de Naupacte qui met un terme à la guerre des Alliés (fin du livre V), les histoires particulières des États se trouvent, avec l’importance de la guerre qui se joue en Occident, interdépendantes et marquées par la symplokè (V, 105, 3-10)37. Ainsi, choisissant les éléments que sa propre expérience pratique le conduit à mettre en valeur, l’historien, en guide en outre très informé du développement des techniques de son temps et de la complémentarité des savoirs, met en œuvre tout ce qui, dans son récit, peut mettre son interlocuteur en situation de vivre les conditions de l’événement et de tirer de cette simulation une expérience utile. 14 Ainsi, l’étude des institutions romaines au livre VI, qui n’est pas celle d’un juriste, ne va pas sans erreur, mais rend compte de l’essentiel en privilégiant la compensation des trois pouvoirs et en examinant le champ d’action de chacun (C. Nicolet, « Polybe et les institutions romaines », Polybe, Genève, Fondation Hardt (Entretiens sur l’Antiquité classique XX), 1974, p. 207-265) est un exemple caractéristique. Représentations, récits et idéologie, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003, p. 31-50. 8 Δοκεῖ δέ μοι καὶ τὸ τῆς ἱστορίας πρόσχημα τοιοῦτον ἄνδρα ζητεῖν. * Le livre XL était une sorte de table des matières où Polybe récapitulait son ouvrage. Reprint Bloomington 1962. 32 On notera néanmoins une possible mise en garde dans l’inversion des termes entre φευκτὴν ἢ τοὐναντίον αἱρετήν au livre III (4, 7) et les critères donnés au livre VI (47) pour juger les qualités (αἱρετὰς ἢ φευκτάς) d’un État : les mœurs, avec des citoyens vertueux et modérés et l’humanité et la justice de l’État, et les lois. 23Aussi, moins que ses erreurs, souvent relevées, ou ses intérêts réels d’homme politique pour ce qui concerne les aspects économiques, voire stratégiques et politiques, les mines d’étain par exemple, est-ce cette curiosité que nous soulignerons et qui marque plus particulièrement les livres-digressions. Il s’agit moins de juger du résultat que d’étudier la manière dont Polybe procède dans l’information et l’écriture des faits. Significative coïncidence ? The author was himself a leading Greek politician and general who moved at ease among the most powerful men of the day and participated in many of the events that he describes. Qu’elle me permette de remercier ici P. Fleury et D. Côté pour leur accueil d’alors et la collaboration qui s’est nouée depuis. Connexion 7 K. Sacks, « Why Polybius wrote Book XII », Polybius on the Writing of History, Berkeley /Los Angeles, University of California Publications (Classical Studies 24), 1981, p. 72. If all of the other volumes in the series are as good as McGing, it will be a very strong series. Les contenus des Cahiers des études anciennes sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Pourtant, nous n’aborderons pas la question de l’ἔμφασις ou de l’ἐνάργεια comme elle a pu l’être par K. Sacks ou A. Zangara13. Ce sont les interventions de Polybe dans son récit, souvent décriées mais significatives d’une prise en compte consciente du destinataire, qui donnent à dessein aux Histoires ces structures partielles — comme une structure d’ensemble, nous y reviendrons — très particulières, pour rendre l’exposé plus facilement et efficacement formateur (εὐμαθεστέραν).